Face à l’urgence, le devoir d’agir !

– Photo : Les activistes en procès, Audrey, Côme, Gabriel, Camille, Robin, Sixtine et Jérôme. –

Lisez la déclaration d’une mère au juge lors du procès des activistes le 7 octobre au tribunal de Bobigny.
« Je regrette d’avoir eu à désobéir à la loi. Mais au moins, plus tard, je pourrai regarder mes filles dans les yeux en leur disant : j’ai fait tout ce que je pouvais. » A. Boehly

« Il y a un an, je m’introduisais sur le tarmac de Roissy avec une centaine de personnes pour demander l’abandon du projet climaticide d’extension de l’aéroport, le Terminal 4. Hier, j’étais en procès pour cette action avec 6 autres prévenus. Voici ce que j’ai déclaré au juge.

 » Comme je l’ai dit il y a un an sur le tarmac de l’aéroport : je ne devrais pas être ici aujourd’hui. Je devrais être en famille, avec mes deux filles de 8 et 11 ans. Mais c’est pour elles que je suis là devant vous, et pour leur génération dont la vie va être bouleversée par le changement climatique. Ainsi que pour nous tous, qui commençons déjà à vivre ces bouleversements, comme cet été, avec les gigantesques incendies en Grèce, en Algérie, en Sibérie, ou les violentes inondations en Allemagne et en Chine.

Avant de m’engager contre le projet d’extension de l’aéroport de Roissy, je n’avais jamais été militante. Il y a quelques années, en tant que journaliste scientifique, j’ai commencé à écrire des articles sur les questions environnementales. J’ai notamment fait des enquêtes sur les énergies vertes, le solaire, l’hydrogène, et j’ai cru que la technologie pourrait nous permettre de continuer comme avant. Puis j’ai lu les rapports du GIEC, j’ai vu les tribunes de scientifiques se multiplier pour sonner l’alerte, et là j’ai réalisé que les chiffres ne laissaient pas de doute : les progrès technologiques ne suffiraient pas, et nous n’étions pas du tout sur la bonne trajectoire.

Ce qui m’a poussé à agir, c’est l’engagement de Greta Thunberg. Fin 2018, lorsqu’elle a pris la parole à la COP24, elle a eu cette phrase très forte, qui m’a bouleversée : “vous dites que vous aimez vos enfants plus que tout, et pourtant vous leur volez leur avenir devant leurs yeux”. A travers elle, j’ai vu mes filles dans quelques années qui me diraient : “tu savais, et pourtant tu n’as rien fait”. Ca m’a fait l’effet d’un électrochoc.

Nous sommes la première génération à vivre le changement climatique, et la dernière à pouvoir agir pour éviter de dépasser un point de non retour. C’est l’enjeu de notre génération, que nous le voulions ou non. C’est notre responsabilité. On ne peut plus faire comme si on ne savait pas qu’un monde à +3°C ou +5°C, vers lequel on se dirige, est un monde qui met l’humanité en danger. Le dernier rapport du GIEC nous l’a encore rappelé cet été. Si on n’agit pas aujourd’hui, comment pourra-t-on se regarder dans une glace demain ? Comment pourra-t-on regarder nos enfants dans les yeux ? Moi je ne pourrai pas.

J’ai commencé comme beaucoup par les fameux petits gestes. J’ai changé mon mode de vie et celui de ma famille : acheter bio, local, tendre vers le zéro déchet, manger moins de viande. Ne plus prendre l’avion aussi. C’est important de faire ces gestes individuels, mais je savais bien que c’était loin d’être suffisant.

Puis j’ai découvert l’existence du projet de Terminal 4 à Roissy. Et ça m’a profondément choqué. Ce projet d’extension de l’aéroport, à 20 kilomètres de chez moi, c’était un nouveau terminal qui aurait pu accueillir autant de passagers que l’aéroport d’Orly, et aurait provoqué chaque année autant d’émissions de gaz à effet de serre que le chauffage de 24 millions de français. Alors que nous devons diviser par 2 nos émissions d’ici 2030 et par 6 d’ici 2050.

Ce projet de Terminal 4 était totalement incohérent avec cet objectif. Car il n’existe pas de solution technologique qui permette au secteur aérien de croître tout en réduisant ses émissions de gaz à effet de serre. Ce n’est pas moi qui le dit : ce sont le Haut Conseil pour le Climat, les climatologues du GIEC comme Jean Jouzel, et même des ingénieurs de l’aéronautique dans plusieurs rapports, ainsi que des salariés et des étudiants du secteur aérien.
On ne pouvait pas laisser construire le Terminal 4 sans rien faire. Alors nous avons fondé le collectif Non au T4, constitué majoritairement d’habitants du Val d’Oise.

Pour l’instant il n’existe malheureusement aucun garde fou, ni législatif, ni réglementaire, qui empêche de construire des infrastructures climaticides. Il y a des lois qui empêchent d’aller sur le tarmac d’un aéroport pour déployer une banderole, mais pas de loi qui empêche la construction de grands projets émetteurs de gaz à effet de serre, qui mettent en péril notre avenir à tous. On a eu beau signer l’accord de Paris, il n’est pas contraignant. On en a tiré une stratégie nationale bas carbone, elle n’est pas contraignante non plus. Pourtant le Haut Conseil pour le Climat demande depuis longtemps l’évaluation des grands projets en fonction de leurs émissions, afin de vérifier s’ils sont compatibles ou non avec la trajectoire de réduction à laquelle l’Etat français s’est engagé. Mais en vain.

Aujourd’hui, le seul rempart contre ces projets climaticides, ce sont malheureusement les citoyens. Or lorsqu’on utilise des moyens d’action conventionnels, on ne nous écoute pas. L’association de défense des riverains de Roissy, l’Advocnar, se bat depuis les années 80 par tous les moyens légaux contre l’augmentation du trafic pour défendre la santé des franciliens, qui perdent jusqu’à trois années de vie en bonne santé sous les couloirs aériens. Cela n’a pas empêché le trafic d’augmenter fortement, avec même la construction de deux nouvelles pistes. A Marseille et à Nice, la mobilisation citoyenne n’a pas stoppé le dépôt des permis de construire de ces deux extensions d’aéroport.

Pour ce qui est de notre collectif, nous avons tout essayé : nous avons manifesté, lancé une pétition qui rassemble près de 50 000 signatures, interpellé nos élus, rencontré le préfet d’Ile de France, la société Aéroport de Paris, la DGAC, demandé un rendez-vous au gouvernement, intenté une action en justice. Mais rien n’y a fait : le gouvernement, décisionnaire sur la question, a continué à faire la sourde oreille.

Alors oui, il était nécessaire d’aller plus loin pour se faire entendre. Cela voulait dire prendre des risques personnels. Prendre le risque d’aller en garde à vue. De passer une nuit en cellule. D’aller au procès. D’être condamné. Ce n’est pas de gaité de cœur que j’ai désobéi à la loi. Cela a un coût personnel important pour moi, pour ma famille. Mais j’ai décidé de prendre mes responsabilités, de jouer le rôle de lanceuse d’alerte, de faire mon devoir envers mes enfants et les générations futures. Et cette alerte a porté ses fruits puisque le gouvernement a décidé d’abandonner le projet en reprenant à son compte nos arguments sur l’impact climatique de l’aviation.

La bataille climatique ne se joue qu’une fois, et elle se joue maintenant. Il n’y a pas de marche arrière possible, pas de seconde chance. Nos actes d’aujourd’hui vont impacter le climat de façon irréversible pendant des centaines d’années. Face à ce constat, chacun doit prendre ses responsabilités. Personne dans cette pièce ne pourra dire “je ne savais pas”. Chacun d’entre nous qui a des enfants, devra pouvoir affronter leur regard et assumer ses actes. Moi j’assume les miens. Je regrette d’avoir eu à désobéir à la loi. Mais au moins, plus tard, je pourrai regarder mes filles dans les yeux en leur disant : j’ai fait tout ce que je pouvais. »
Audrey Boehly, journaliste scientifique et mère de famille, le 8.10.2021.

LE GOUVERNEMENT à ABANDONNÉ (provisoirement) LE PROJET DE TERMINAL 4 À ROISSY, MAIS POURSUIT EN JUSTICE LES ACTIVISTES QUI DENONCAIENT CE PROJET CLIMATICIDE. Ce faisant, c’est aussi pour notre avenir qu’ils se battent.
Une cagnotte est en ligne pour aider à payer les frais de justice. Un grand merci à tous ceux qui pourront les soutenir : soutenir les activistes en procès.

Au procès des militants anti-avion : « L’État me vole mon avenir »
Reporterre, 8.10.2021

Autopsie d’un procès politique

Déclarations de prévenus, paroles de témoins et les plaidoiries.
« Il est incompréhensible que nous soyons ici pour juger des personnes qui agissent pour le bien commun au lieu d’être tous ensemble sur un enjeu qui concerne l’avenir de l’espèce humaine. Les faits jugés aujourd’hui sont insignifiants à côté de la grave menace qui pèse sur l’avenir de la planète. »
Le blog de Mediapart, Pierre Sassier, 12.10.2021

Soutien aux activistes en procès le 7 octobre